Monday, November 24, 2014

Albert Moleka sur la démocratisation au Congo, Etienne Tshisekedi, et l’état de l’UDPS

Albert Moleka
Albert Moleka est haut cadre de l’Union pour la démocratie et le progrès sociale (UDPS). Il était entre octobre 2008 et mai 2014 l’assistant et porte-parole puis directeur de cabinet et porte parole d’Etienne Tshisekedi, président de l’UDPS. Cette transcription a été légèrement raccourcie de l’original. 

M. Moleka, l’opposition est toujours inquiétée par rapport à la possibilité d’une révision de la constitution pour permettre au Président Kabila de briguer un troisième mandat.  Néanmoins, on constate depuis les évènements au Burkina Faso que les partisans d’une révision ont pris un peu de recul. Comment vous interprétez la situation ?

Il y a une chose que les gens oublient : Juste après les élections [de 2011, ndlr], le secrétaire général du principal parti de Monsieur Kabila [Evariste Boshab] était descendu à Lubumbashi au Katanga et, à cette occasion, avait déjà demandé aux cellules du PPRD/Katanga de soutenir Kabila pour un troisième mandat. C’était déjà en mars 2012. Et durant cette période, l’église catholique avait aussi donné sa position : après deux mandats, il n’est pas question de changer l’Article 220 [qui limite le nombre de mandats présidentiels].

"…je crois que par rapport à la révision constitutionnelle ils vont reculer et opter pour le glissement."

Après les élections de 2011, le camp kabiliste pensait donc déjà à ces révisions de la constitution. D’ailleurs le but véritable des concertations nationales c’était d’élargir la base parlementaire en faveur de Kabila pour pouvoir changer la constitution. Au sortir de ces assises, quand tu entendais le langage de l’opposition qui y avait pris part, l’UFC de Monsieur Kengo wa Dondo par exemple, tu comprenais qu’ils n’étaient pas opposé de travailler pour une révision de la constitution puisqu’ils exprimaient explicitement leur accord de participer à la création d’une nouvelle majorité dite « gouvernementale ».

Actuellement, on a vu que la vigilance de l’église catholique surtout a fait que le débat est devenu très rapidement non seulement un débat de toute la classe politique, mais un débat national et populaire. Le camp Kabila a joué le coup d’une manière maladroite parce que toutes les interventions des collaborateurs et partisans de Kabila, que ce soit le secrétaire général du PPRD (Evariste Boshab) ou le président de l’actuelle assemblée nationale (Aubin Minaku), donnaient clairement l’impression que l’ option du passage en force était levée. Je crois aussi que la nomination d’un envoyé spécial du gouvernement américain et surtout le choix de Feingold a beaucoup aidé les congolais dans le sens que Feingold n’étant pas un diplomate a pris ses fonctions en utilisant un langage de sénateur américain, c’est à dire un langage franc, qui va droit au but.

Les évènements du Burkina ont bien sûr fait reculer, parce que la communauté internationale a donné un soutien direct à la position populaire. Sans oublier, bien sûr, que l’opposition et l’église catholique sont aussi restées fermes sur leurs positions.  De plus, la fameuse réunion de Kingakati avec la position exprimée ouvertement par MSR [important parti politique membre de la majorité présidentielle qui a demandé un débat franc sur la révision constitutionnelle] a révélé des fissures et des dissensions de fond inhabituelles.  C’est une première. Il est connu que certains influents leaders du camp kabiliste, dont un important financier de la mosaïque des partis qui le composent, ont déjà donné des instructions fermes à leurs « obligés » au sein de la « majorité présidentielle » de s’abstenir de soutenir une quelconque révision de la constitution au risque de ne plus pouvoir compter sur eux pour « les minervaux des enfants ou les problèmes de santé de madame en Europe, etc. »

Est-ce que tout cela veut dire que le camp présidentiel ne va plus pousser pour une révision constitutionnelle mais va plutôt adopter une stratégie de glissement du calendrier électorale ?

Oui, c’est mon analyse pour le moment du moins. Je crois que finalement ils ont réalisé que cette question peut réellement mettre le feu aux poudres au niveau populaire. Comme les provinces qui se montrent les plus rigides là-dessus sont le Katanga et les deux Kivus, que certains ont toujours prétendu être des bastions électoraux de Kabila, je crois que par rapport à la révision constitutionnelle ils vont reculer et opter pour le glissement.

Le sénat et les assemblées provinciales ont déjà profité d’un glissement de maintenant deux ans sur leur mandats, certains parlementaires se parlent entre eux et disent : pourquoi ne pourrions-nous pas profiter d’un glissement aussi? Beaucoup d’entre eux savent qu’ils ne seront pas réélus. Donc le camp kabiliste compte sur ces élus dans leur stratégie de glissement. Certains leaders politiques voient aussi là-dedans une source de financements pour les joutes électorales à venir tout comme l’attente continuelle par certains du fameux gouvernement de cohésion nationale.

Ensuite il faut définir les circonscriptions locales sur base de groupements à identifier ou créer, selon les cas. Actuellement, leur nombre n’est pas encore connu. Il y en aura plus de 5000. Chaque groupement devra avoir son tribunal administratif pour traiter des cas de contestations électorales, donc il faut des infrastructures (bâtiments, voiries etc…), des affectations de juges et magistrats avec salaires et frais de fonctionnement. Il y a aussi cette question du recensement, c’était une condition préalable pour les élections de 2006. Aujourd’hui on a mis sur pied l’Office national pour l’identification de la population (ONIP) pour le recensement. Le marché a été donné au chinois Huawei, qui est toujours en train de chercher des fonds ( 500 millions USD), le gouvernement n’a pas d’argent.

On voit que techniquement, c’est impossible [de faire tout cela avant les élections de 2016], c’est pour faire trainer les choses.

Quel attitude est-ce que les partenaires internationaux devraient adopter par rapport à cette stratégie de glissement, si elle existe ? Si on ne finance pas les élections, le gouvernement pourrait essayer de les financer sans appui international, ce qui pourrait compromettre le processus davantage ?

C’est une question très sensible. Dans le camp Kabila, on se dit : si la communauté internationale ne donne pas le financement, ça nous donne une raison de plus de dire : voilà, on n’a pas l’argent nécessaire pour les élections.

"Il sera très difficile, en tout cas, d’organiser des élections crédibles avec Malu Malu, parce qu’il est trop attaché à Kabila." 

Je pense que la position de la communauté internationale est très claire : si on ne publie pas un calendrier électoral global, il n’y aura pas déblocage de fonds, pas l’argent.

Il sera très difficile, en tout cas, d’organiser des élections crédibles avec Malu Malu, parce qu’il est trop attaché à Kabila. Ce qui est important, je crois, c’est que la communauté internationale doit rester constante dans son approche. Au niveau technique, le contrôle du centre national de traitement doit se faire dans la transparence. Je crois qu’on a vu dans les différents rapports des observateurs que le véritable problème s’est posé au niveau des centres de compilation ainsi qu’à l’opacité du fonctionnement du centre national de traitement dont l’accès tant par les observateurs que les partis politiques était fermement refusée par la ceni. Si on élimine ces centres de compilation et on met les garde-fous nécessaires pour que le centre national de traitement soit transparent, là nous pouvons espérer à voir un jour des élections avec des résultats crédibles. 

Le rapporteur général de la ceni, qui était un député élu sur la liste UDPS, s’est laissé délester par Malu Malu de la supervision du centre national de traitement qui lui est dévolue suivant l’organigramme de la CENI. Le centre national de traitement est passé sous la supervision du secrétariat exécutif  dirigé par Fabien Musoni, dont la proximité a Malu Malu n’est plus à démontrer..

Changeons un peu de sujet pour revenir sur ce qui est en train de se passer au sein de l’UDPS. Il y avait une déclaration récente signé par beaucoup de cadres de l’UDPS, dénonçant la mauvaise gestion du parti par certaines personnes, y inclus le Secrétaire Générale Bruno Mavungu et le fils du président de l’UDPS, Félix Tshisekedi.

Etienne Tshisekedi est tombé malade le mardi, 4 mars 2014. En tant que son directeur de cabinet, lorsque je l’ai vu le lendemain, on le voyant j’ai pris la décision de suspendre toutes les audiences pour une durée indéterminée parce qu’il était très affaibli. Le jeudi 13 mars il m’a appelé. J’ai vu qu’il était encore très affaibli. Il m’a communiqué six noms, trois de l’étranger–– Felix Tshilombo Tshisekedi, Claude Kiringa, le représentant au Canada, Willy Vangu, le représentant en Afrique du Sud––et trois de l’intérieur : Valentin Mubake, Roger Kakonge et moi même, en spécifiant que je reste son directeur de cabinet et porte parole. Il m’a dit : c’est la nouvelle direction politique du parti. Il n’avait pas encore précisé les fonctions de chacun à cette occasion.

"Depuis [le 13 mars 2014], les hauts cadres de l’UDPS n’ont plus vu Etienne Tshisekedi."

Notre séance de travail a été interrompu par un incident  que j’ai qualifié à caractère strictement familial. Depuis ce jour, les hauts cadres de l’UDPS n’ont plus vu Etienne Tshisekedi.

Je pense que tous les combattants de l’UDPS ne recherchent qu’une seule chose actuellement, c’est de voir Etienne Tshisekedi en chair et en os s’exprimer librement sur la marche du parti et du pays. A ce sujet ils seront intraitables comme Saint-Thomas. Il est notre Président de la République élu, et cela doit faire comprendre les frustrations qui s’expriment de telle ou telle manière. Après tout, l’Udps se dit championne de la démocratie et, à ce titre, ne doit-elle pas s’appliquer le principe de liberté de contestation et d’expression à soi-même ?

Est-ce qu’il est en communication avec vous et les autres cadres du parti ?

Non,  je ne suis pas en communication avec lui. Il est là-bas depuis de le 16 août et son propre représentant pour le Benelux n’a pas non plus eu l’opportunité de le rencontrer, ni un membre de son comité. La gestion de sa convalescence ne le permet pas, semble-t-il.

Comment sortir de cette crise ? Je vois que la déclaration récente est basée sur des frustrations réelles ; je vois aussi que ce ne sont pas tous les dirigeants des fédérations qui ont signé la déclaration, donc il y a une vraie division au sein du parti.

Il faut d’abord avoir la volonté de sortir de cette crise. S’il y a cette volonté de sortir de la crise et d’éviter la dislocation de l’UDPS, il faut partir de deux constats : que le président avait une vision, c’est à dire une direction politique genre directoire, mais que certains de ses proches ne sont pas d’accord sur cela. Ce qui rend difficile l’application de la volonté du président.

Deuxièmement, il faut voir ce qui a pu fonctionner plus ou moins bien dans les dernières années. En 2011 nous avons vu une équipe exécutive capable de mobiliser les structures de base. Il faut en revenir à ça de sorte à ne pas perdre de temps. Il y a des enjeux nationaux, des questions dans lesquelles la voix de l’UDPS n’est pas entendue.

Vous pensez que le gouvernement pourrait essayé d’enfoncer le clou en essayant de coopter une faction du parti, en le faisant entrer dans un gouvernement de cohésion national ?

Il est vrai que Kabila cherche à ratisser large et si possible attirer une personne dont la proximité avec Etienne Tshisekedi ne peut être mise en doute. Maintenant, comme ce gouvernement a trainé, ca rend plus difficile à quiconque de l’UDPS d’entrer dans le gouvernement. Par contre, si le fameux « dialogue » que certains quémandent résulte en la mise en place d’un gouvernement, là je crains qu’il risque d’y avoir des preneurs même dans l’entourage au sens large d’Etienne Tshisekedi.

Quelle sera la réaction de la base si l’UDPS entre dans un gouvernement chapoté par Joseph Kabila.

Il y aura dislocation du parti, ça c’est sûr.

Etienne Tshisekedi ne reviendra plus comme président fonctionnel du parti ?

C’est un homme auprès duquel j’ai travaillé pendant six ans, dont trois ans à 7,000 kilomètres de distance l’un de l’autre. Je crois que les gens doivent se souvenir que en 2010 avant de rentrer au pays, il avait donné un interview à une magazine belge où il avait dit : « Je rentre dans mon pays et je vais participer aux élections… oui c’est mon dernier combat, le combat de toute une vie. »  Le poussera-t-on à livrer le combat de trop ? Je ne le souhaite pas car il est déjà plus important pour les congolais que n’importe quel président de la république. Comme le disait Monsieur Jean Ping en 2011, ses collaborateurs et partisans doivent assurer qu’Etienne Tshisekedi entre dans l’histoire par la grande porte, et non à reculons.
"Le poussera-t-on à livrer le combat de trop ? Je ne le souhaite pas car il est déjà plus important pour les congolais que n’importe quel président de la république." 
Mais dans l’intérêt de la nation et du parti je prie chaque jour qu’il puisse revenir, ne-fut-ce-que pour mettre en place cette nouvelle direction politique qui était sa vision. À l’heure actuelle, toute direction politique qui n’est pas installée par lui même aura des sérieux problèmes de légitimité.

Est-ce que ce n’est pas un problème pour le parti, le fait qu’il faudra que la transition soit guidée par Tshisekedi lui même. Est-ce que ce n’est pas une indication de la personnalisation du parti ?

Il y a une réalité. Le vrai problème de l’UDPS c’est que Etienne Tshisekedi était devenu plus grand que l’UDPS, en quelque sorte. Il est capable de mobiliser des foules, l’UDPS seul n’est pas capable de mobiliser autant de foules. De l’autre coté il faut comprendre qu’il fait parti d’une génération qui en terme politique avait la culture de la personnalisation du pouvoir. Et n’avait pas la culture de la préparation d’une succession. Tshiskedi a pensé au dernier moment de mettre en place un groupe qui pourrait mener cette transition, jusqu’au congrès, malheureusement, on ne lui a pas permis d’aller jusqu’au bout de son idée.
















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