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Les Congolais ne savaient pas, le
week-end dernier, quelle attitude adopter face à la montée au créneau de
plusieurs représentants des pouvoirs publics qui se sont précipités à étouffer
l’ affaire de la prétendue plainte du chef de l’Etat contre certains de leurs
dirigeants.
Selon plusieurs médias – dont l’Agence
France Presse et Radio Okapi – qui ont
évoqué l’affaire, le chef de l’Etat congolais avait, par l’entremise de son conseiller
spécial en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la
corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, déposé le 23
juin 2015 une plainte à l’office du procureur général de la république à charge
de plusieurs personnalités publiques pour corruption, détournement de deniers
publics, etc. Selon les mêmes sources, quatre gouverneurs de province, l’ancien
directeur de cabinet du président de la république, un membre du gouvernement
en fonction et un autre ayant déjà quitté ses fonctions au sein de l’équipe
gouvernementale étaient visés par la plainte. Des noms des gouverneurs de
province tels que Moïse Katumbi Chapwe (Katanga), Marcellin Chishambo (Sud-Kivu),
Alphonse Ngoyi Kasanji (Kasaï Oriental), Alex Kande Mupompa (Kasaï occidental)
ont été abondamment cités.
L’onde de choc a été telle que plusieurs
sources officielles ont aussitôt entrepris, sinon de démentir l’information, à
tout le moins de la nuancer.
Julien Paluku, gouverneur du Nord-Kivu,
a été le premier à proposer la première partition de ce changement de ton en
parlant de rumeur. C’était le 25 juin à
l’issue d’un entretien entre Joseph Kabila et les gouverneurs de provinces
venus à Kinshasa lui faire le rapport des consultations avec les forces vives
de l’arrière-pays sur le dialogue politique. Personne ne l’avait pris au
sérieux. Jusqu’au moment où, jeudi 02
juillet, le procureur général de la
république en personne, Flory Kabange, a confirmé ce nouveau développement.
Premièrement, en parlant d’une dénonciation et non d’une plainte, ce qui en
change la portée. Deuxièmement, en confirmant l’ouverture d’une information
judiciaire qui risque, évidemment, de prendre du temps et d’exiger des moyens
conséquents…
La déclaration était assortie d’une
menace contre tous ceux qui continueraient à citer des noms en piétinant le
principe de la présomption d’innocence.
Deux questions pouvaient, au minimum, se
poser à ce stade. La première : un président de la république peut-il
verser dans la dénonciation et la délation au risque de s’exposer à des
poursuites? Deuxième question : pourquoi les médias ayant cité des noms ne
sont-ils pas poursuivis ou, à tout le moins, mis au défi de produire la fameuse
plainte afin d’édifier l’opinion?
Le déminage délicatement entrepris par
le procureur général de la république poursuivait ainsi clairement l’objectif non
pas d’apporter un nouvel éclairage mais d’étouffer l’affaire. Pour preuve, ses
déclarations telles que «les enquêtes de ce genre sont longues» ou encore
«quelqu’un qui détourne ou qui fait l’exercice de blanchiment de capitaux prend
toutes les précautions pour ne pas se faire prendre ».
Pour autant, la volonté d’imposer le
silence n’a pas toujours suffi, certes
pour des raisons parfois inattendues. Ainsi dans un communiqué rendu public
vendredi 03 juillet, le premier ministre Matata Ponyo s’est cru à son tour obligé
de jouer sa propre partition. D’abord, en appuyant le procureur général de la
république avec une mise en garde à tous ceux qui risquaient de porter atteinte
à l’honneur de certaines personnalités en continuant de citer des noms.
Ensuite, en tirant subtilement la couverture de son côté par la réaffirmation
du leitmotiv qui a toujours conduit son action depuis qu’il s’était occupé du
ministère des finances jusqu’à son ascension à la Primature. Une action, au
plan tant juridictionnel qu’institutionnel, qui a beaucoup investi dans la
lutte contre la corruption et les détournements.
Question : le premier ministre
s’est-il senti menacé, d’une manière ou d’une autre, par cette affaire, du simple
fait que l’un ou l’autre membre du gouvernement aurait été cité, ou s’est-il
senti obligé de prêcher anticipativement - mais pourquoi donc - la
pédagogie de la solidarité gouvernementale? On ne le saura peut-être pas de
sitôt. Ce qui est sûr en revanche, c’est que Matata Ponyo s’est publiquement
insurgé contre «la crédibilité des documents contradictoires actuellement en
circulation au niveau de la presse, et qui, malheureusement, citent le nom d’un
membre du gouvernement en fonction et évoquent les fonctions d’un autre déjà
parti du gouvernement».
Opération réussie? L’interrogation
persiste, d’autant que le premier ministre a visiblement tenu à s’exposer
lui-même dans une affaire où il n’était pas cité. De même, si les documents en circulation sont
contradictoires, ils ont néanmoins le mérite d’exister et de n’avoir pas fait
l’objet d’un démenti formel dans les médias incriminés. Et s’il est légitime de
s’interroger sur la crédibilité de ces documents, il est en même temps difficile
d’éviter qu’une telle ligne de défense ne se justifie pas par la confirmation
que des noms ont été cités…Ce que le premier ministre vient de faire à travers
son communiqué.
La quadrature du cercle, en somme. Car,
si le mérite d’un faux est de mettre en lumière le vrai, dans le cas d’espèce,
plainte ou dénonciation, le document authentique n’est toujours pas venu
chasser le faux afin de couper court à la rumeur. Mais encore?
A l’évidence, le procureur général de la
république s’est employé à désamorcer une bombe dont l’explosion pouvait donner
lieu à des effets inattendus dès lors qu’«accusés» ou «dénoncés» pouvaient
utiliser tous les moyens à leur disposition pour se défendre. De son côté, concerné
ou non, le premier ministre a cru bien faire en s’inscrivant dans cette logique
afin de mieux marquer son territoire. Malheureusement, il n’a réussi qu’à
soulever des questions sur les non-dits de sa démarche.
Au bout du compte, c’est une courbe
rentrante dont ne sort pas grandi le conseiller spécial du chef de l’Etat,
Luzolo Bambi Lessa, qui devra seul porter le chapeau du ratage monumental d’une
opération qui n’a pas été appuyée par «des enquêtes des services attitrés»,
lit-on, comme une critique qui ne veut pas dire son nom, dans le communiqué de
la Primature. Mais aussi le peuple congolais qui pouvait espérer des
révélations inédites sur la gouvernance de la RDC.
Alors, en rire ou en pleurer?
En rire, parce qu’il s’agit d’un
imbroglio politique que le gouvernement congolais aurait pu éviter. Quitte à
déplorer encore une fois la tendance des acteurs politiques à se précipiter, à
ne pas mûrir les dossiers, à ne pas prendre le temps de les approfondir,
préférant sans aucun doute l’effet d’annonce, le règlement des comptes dans la
perspective des élections, ainsi que la politique du spectacle.
En pleurer parce que le coup de frein
imprimé brutalement à cette affaire qui commençait à mobiliser l’opinion tant
nationale qu’internationale par son caractère inédit et spectaculaire prive les
Congolais des révélations qu’ils étaient en droit d’espérer sur les mœurs
politiques et la gouvernance de leur pays...
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