Les dernières nouvelles en République
Démocratique du Congo ne sont pas toujours aussi bonnes que le calme apparent
qui y règne le laisserait croire. En effet, les événements se sont brusquement
accélérés, comme s’ils voulaient échapper à tout contrôle, au point que les
observateurs s’interrogent sur ce que réserve la suite dans une configuration
où tous les acteurs semblent déterminés à jouer leur va-tout.
Jeudi 11
juin, Joseph Kabila venait de recevoir au Palais de la Nation une délégation
des ambassadeurs accrédités à Kinshasa dans le cadre des consultations qu’il
avait entamées début juin sur l’organisation du dialogue politique et
d’instruire les gouverneurs de provinces de poursuivre le travail en provinces.
Coup de tonnerre deux jours après, samedi 13 juin, avec le renvoi par
l’Assemblée nationale du projet de loi portant répartition
des sièges par circonscription électorale pour les élections municipales et
locales.
Ce projet
comporte «des problèmes qui doivent
nécessairement être réglés», a indiqué Aubin Minaku, président de
l’Assemblée nationale. De nombreux députés nationaux ont en outre dénoncé des
tentatives de fraude dans la répartition des sièges, expliquant que plusieurs groupements et secteurs prévus
dans le projet sont soit inexistants soit objet de contentieux majeurs.
D’autres ont fait allusion au recensement électoral de 2004 et à son
actualisation en 2011 pour fustiger le
manque de cohérence entre les chiffres contenus dans le projet de loi et la réalité
sur le terrain.
« Comment
vous pouvez comprendre que vous ayez des secteurs ou vous n’avez pas de
groupements et des groupements ou vous n’avez pas de village. Et par dessus
tout, il y avait dans cette loi des groupements où il y avait zéro électeur à
qui on avait attribué un siège», s’est insurgé pour sa part le député de
l’opposition Delly Sessanga.
Dans un autre
pays, un échec aussi majeur aurait poussé le gouvernement à admettre sa
responsabilité. Notamment pour avoir créé des nouvelles communes en 2012 et
2013, bien au-delà du dernier enrôlement des électeurs, rendant ainsi encore
plus délicate la problématique de la répartition des sièges.
Le calendrier «allégé»
Le rejet du
projet de loi sur la répartition des sièges par l’Assemblée nationale n’a pas
outre mesure surpris les observateurs de la vie politique congolaise. La
majorité elle-même était divisée sur la question. Des sources proches du
gouvernement ont ainsi indiqué que le ministre PPRD en charge de la
décentralisation a en vain alerté son collègue de l’Intérieur sur les incohérences
du texte tout en plaidant en faveur d’une plus grande harmonisation.
On pourrait craindre que l’effet de ce développement
soit que le calendrier électoral s’en trouve considérablement bouleversé.
Député de la majorité, Thomas Lokondo le déplore amèrement : «c’est une manière de faire voir aux gens
aussi que la volonté politique n’y était pas. On ne peut pas nous présenter une
loi aussi importante en retard comme ça. Ajouter à cela, l’épineux problème
financier, il est évident que les élections seront reportées pour 2017».
Ce que le député sous-entend, c’est que le parlement
est en principe en vacances pour trois mois. Difficile dans ces conditions,
même avec toute la bonne volonté du monde, de rattraper le retard sur le
calendrier électoral, y compris après une session extraordinaire.
En revanche, ce nouveau rebondissement pourrait servir
de catalyseur au souhait de l’opposition et de la société civile, comme aussi
des principaux partenaires de la RDC, qui ont récemment plaidé en faveur du
report des élections locales, à la fois pour des raisons budgétaires mais aussi
pour éviter que le trop plein des élections ne soit la cause ou le prétexte à
un débordement sur le délai constitutionnel. Leader du RCD, Azarias Ruberwa
Maniwa indiquait, au sortir de la consultation au Palais de la Nation avec
Joseph Kabila, que la RDC ne serait pas
en mesure d’organiser les 7 élections prévues par la Commission électorale
nationale indépendante (Ceni) en une année : «Raisonnablement, il n’est pas possible de tenir un tel cycle
électoral. D’abord par rapport au facteur temps et budget, mais aussi par
rapport aux tensions résultant de toutes ces élections qui peuvent causer
d’énormes crises». Même tonalité chez le député Ne Mwanda Nsemi, leader du
parti Congo Pax (Opposition) : «Nous
voulons aller aux élections et nous ne sommes même pas prêts à présenter le
fichier électoral à ceux qui en ont besoin. La suite c’est laquelle ?
C’est que les élections sont une aventure et moi je ne suis pas prêt à
m’engager dans une aventure».
Bref, il est permis
de penser, à ce stade, que ce n’est pas
cette année que les Congolais éliront leurs conseillers de groupements, leurs
conseillers municipaux et urbains, moins encore, si l’on n’y prend garde, leurs
députés provinciaux. Du coup, ce n’est pas non plus l’année prochaine que les
Congolais pourraient avoir leurs nouveaux bourgmestres, maires, gouverneurs et sénateurs. En
revanche, cet «allégement» non désiré du
calendrier électoral permettrait à la CENI ainsi qu’à toute la classe politique
de se concentrer sur les législatives nationales et la présidentielle de
l’année prochaine.
Incertitudes autour du processus électoral
Face à une
situation pour le moins inédite, la réaction de la CENI était presque
pathétique dans la bouche de son rapporteur Jean Pierre Kalamba. «La Ceni avait conditionné le lancement de
l’inscription des candidats aux élections municipales et locales à l’adoption
et la promulgation de cette loi. Si c’est une décision remise, la CENI attend,
il n’y a pas de problème. Comme moi, tout le monde a suivi que le président de
l’Assemblée préconisait une session extraordinaire. Il peut avoir 30 jours ou
15 jours. Une affaire de 30 jours tout au plus, la CENI attend, il n’y a pas
mort d’homme pour ça».
Plus facile à
dire qu’à réaliser. Le ministère de l’intérieur ne possède tout simplement pas
les données nécessaires pour faire une répartition correcte des sièges, à cause
du non-enrôlement des nouveaux majeurs, les lacunes du dernier enrôlement de
2011, et la création ultérieure des nouvelles communes.
Et même si un
consensus semble émerger autour d’un report des élections locales, on est
toujours loin de savoir de quelle manière ce consensus pourrait se manifester.
L’opposition semble en effet évoluer vers un rejet définitif du dialogue
proposé par Kabila, alors que la réunion tripartite avec la CENI du mardi 23
juin aurait engendré encore plus de discorde au sein de la classe politique. En
plus, le report des élections locales ne résoudrait toujours pas le problème de
fond concernant la viabilité de la nouvelle administration locale, qui risque de
rajouter à la cacophonie et à la conflictualité latente. Des conflits qui
viendraient se greffer sur l’impossible cohabitation qui se dessine entre les
administrateurs de territoires par exemple, les bourgmestres des communes
rurales et les chefs de secteurs dont certains groupements seraient incorporés
dans les communes rurales.
La tentation du forcing
Plus que
jamais, la RDC aborde la zone des turbulences. D’autant qu’aux dernières nouvelles,
c’est l’hypothèse d’une session extraordinaire du parlement qui serait
privilégiée, quand bien même il est évident que celle-ci n’offrira aucune
réponse concrète aux immenses défis financiers, techniques et logistiques
auxquels la centrale électorale doit faire face. Alors que le gouvernement
traîne toujours les pieds pour débloquer les fonds, les partenaires pour leur
part ne se montrent pas plus enthousiastes à soutenir un processus électoral
congolais dont ils critiquent le nombre des élections (7) et la multiplicité des
contraintes.
Pour le reste, selon plusieurs sources, les partisans du tout
pour le tout seraient prêts, lorsque les événements donnent tant l’impression
de vouloir échapper à leur contrôle, à
allumer s’il le faut des foyers d’incendie dans l’espoir de jouer les pompiers
le moment venu. Il n’est pourtant pas sûr qu’ils maîtrisent le feu dans un sous-continent
où les appétits de pouvoir sont plus importants que l’intérêt général.
L’incertitude se situe là.
Jean Kenge Mukengeshayi est le directeur adjoint d'un nouveau projet de recherche sur la RD Congo, le Groupe d'Étude sur le Congo, basé au Centre pour la Cooperation Internationale à l'Université de New York. Il écrit un editorial hebdomadaire pour Congo Siasa.
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