Albert Moleka |
M. Moleka, l’opposition est toujours inquiétée par
rapport à la possibilité d’une révision de la constitution pour permettre au
Président Kabila de briguer un troisième mandat. Néanmoins, on constate depuis les évènements au Burkina Faso
que les partisans d’une révision ont pris un peu de recul. Comment vous
interprétez la situation ?
Il y a une chose
que les gens oublient : Juste après les élections [de 2011, ndlr], le
secrétaire général du principal parti de Monsieur Kabila [Evariste Boshab]
était descendu à Lubumbashi au Katanga et, à cette occasion, avait déjà demandé
aux cellules du PPRD/Katanga de soutenir Kabila pour un troisième mandat.
C’était déjà en mars 2012. Et durant cette période, l’église catholique avait aussi
donné sa position : après deux mandats, il n’est pas question de changer
l’Article 220 [qui limite le nombre de mandats présidentiels].
"…je crois que par rapport à la révision constitutionnelle ils vont reculer et opter pour le glissement."
Après les élections
de 2011, le camp kabiliste pensait donc déjà à ces révisions de la
constitution. D’ailleurs le but véritable des concertations nationales c’était
d’élargir la base parlementaire en faveur de Kabila pour pouvoir changer la
constitution. Au sortir de ces assises, quand tu entendais le langage de
l’opposition qui y avait pris part, l’UFC de Monsieur Kengo wa Dondo par
exemple, tu comprenais qu’ils n’étaient pas opposé de travailler pour une
révision de la constitution puisqu’ils exprimaient explicitement leur accord de
participer à la création d’une nouvelle majorité dite
« gouvernementale ».
Actuellement, on
a vu que la vigilance de l’église catholique surtout a fait que le débat est
devenu très rapidement non seulement un débat de toute la classe politique, mais
un débat national et populaire. Le camp Kabila a joué le coup d’une manière
maladroite parce que toutes les interventions des collaborateurs et partisans de
Kabila, que ce soit le secrétaire général du PPRD (Evariste Boshab) ou le
président de l’actuelle assemblée nationale (Aubin Minaku), donnaient
clairement l’impression que l’ option du passage en force était levée. Je crois
aussi que la nomination d’un envoyé spécial du gouvernement américain et
surtout le choix de Feingold a beaucoup aidé les congolais dans le sens que
Feingold n’étant pas un diplomate a pris ses fonctions en utilisant un langage
de sénateur américain, c’est à dire un langage franc, qui va droit au but.
Les évènements du
Burkina ont bien sûr fait reculer, parce que la communauté internationale a
donné un soutien direct à la position populaire. Sans oublier, bien sûr, que l’opposition
et l’église catholique sont aussi restées fermes sur leurs positions. De plus, la fameuse réunion de
Kingakati avec la position exprimée ouvertement par MSR [important parti
politique membre de la majorité présidentielle qui a demandé un débat franc sur
la révision constitutionnelle] a révélé des fissures et des dissensions de fond
inhabituelles. C’est une première.
Il est connu que certains influents leaders du camp kabiliste, dont un
important financier de la mosaïque des partis qui le composent, ont déjà donné
des instructions fermes à leurs « obligés » au sein de la « majorité
présidentielle » de s’abstenir de soutenir une quelconque révision de la
constitution au risque de ne plus pouvoir compter sur eux pour « les minervaux
des enfants ou les problèmes de santé de madame en Europe, etc. »
Est-ce que tout cela veut dire que le camp
présidentiel ne va plus pousser pour une révision constitutionnelle mais va
plutôt adopter une stratégie de glissement du calendrier électorale ?
Oui, c’est mon
analyse pour le moment du moins. Je crois que finalement ils ont réalisé que
cette question peut réellement mettre le feu aux poudres au niveau populaire.
Comme les provinces qui se montrent les plus rigides là-dessus sont le Katanga
et les deux Kivus, que certains ont toujours prétendu être des bastions électoraux
de Kabila, je crois que par rapport à la révision constitutionnelle ils vont reculer et opter pour le glissement.
Le sénat et les
assemblées provinciales ont déjà profité d’un glissement de maintenant deux ans
sur leur mandats, certains parlementaires se parlent entre eux et disent :
pourquoi ne pourrions-nous pas profiter d’un glissement aussi? Beaucoup
d’entre eux savent qu’ils ne seront pas réélus. Donc le camp kabiliste compte
sur ces élus dans leur stratégie de glissement. Certains leaders politiques
voient aussi là-dedans une source de financements pour les joutes électorales à
venir tout comme l’attente continuelle par certains du fameux gouvernement de
cohésion nationale.
Ensuite il faut
définir les circonscriptions locales sur base de groupements à identifier ou
créer, selon les cas. Actuellement, leur nombre n’est pas encore connu. Il y en
aura plus de 5000. Chaque groupement devra avoir son tribunal administratif pour
traiter des cas de contestations électorales, donc il faut des infrastructures (bâtiments,
voiries etc…), des affectations de juges et magistrats avec salaires et frais
de fonctionnement. Il y a aussi cette question du recensement, c’était une condition
préalable pour les élections de 2006. Aujourd’hui on a mis sur pied l’Office
national pour l’identification de la population (ONIP) pour le recensement. Le
marché a été donné au chinois Huawei, qui est toujours en train de chercher des
fonds ( 500 millions USD), le gouvernement n’a pas d’argent.
On voit que
techniquement, c’est impossible [de faire tout cela avant les élections de
2016], c’est pour faire trainer les choses.
Quel attitude est-ce que les partenaires
internationaux devraient adopter par rapport à cette stratégie de glissement,
si elle existe ? Si on ne finance pas les élections, le gouvernement
pourrait essayer de les financer sans appui international, ce qui pourrait
compromettre le processus davantage ?
C’est une
question très sensible. Dans le camp Kabila, on se dit : si la communauté
internationale ne donne pas le financement, ça nous donne une raison de plus de
dire : voilà, on n’a pas l’argent nécessaire pour les élections.
"Il sera très difficile, en tout cas, d’organiser des élections crédibles avec Malu Malu, parce qu’il est trop attaché à Kabila."
Je pense que la
position de la communauté internationale est très claire : si on ne publie
pas un calendrier électoral global, il n’y aura pas déblocage de fonds, pas
l’argent.
Il sera très
difficile, en tout cas, d’organiser des élections crédibles avec Malu Malu,
parce qu’il est trop attaché à Kabila. Ce qui est important, je crois, c’est que
la communauté internationale doit rester constante dans son approche. Au niveau
technique, le contrôle du centre national de traitement doit se faire dans la
transparence. Je crois qu’on a vu dans les différents rapports des observateurs
que le véritable problème s’est posé au niveau des centres de compilation ainsi
qu’à l’opacité du fonctionnement du centre national de traitement dont l’accès
tant par les observateurs que les partis politiques était fermement refusée par
la ceni. Si on élimine ces centres de compilation et on met les garde-fous
nécessaires pour que le centre national de traitement soit transparent, là nous
pouvons espérer à voir un jour des élections avec des résultats crédibles.
Le rapporteur général
de la ceni, qui était un député élu sur la liste UDPS, s’est laissé délester
par Malu Malu de la supervision du centre national de traitement qui lui est
dévolue suivant l’organigramme de la CENI. Le centre national de traitement est
passé sous la supervision du secrétariat exécutif dirigé par Fabien Musoni, dont la proximité a Malu Malu
n’est plus à démontrer..
Changeons un peu de sujet pour revenir sur ce qui
est en train de se passer au sein de l’UDPS. Il y avait une déclaration récente
signé par beaucoup de cadres de l’UDPS, dénonçant la mauvaise gestion du parti
par certaines personnes, y inclus le Secrétaire Générale Bruno Mavungu et le
fils du président de l’UDPS, Félix Tshisekedi.
Etienne
Tshisekedi est tombé malade le mardi, 4 mars 2014. En tant que son directeur de
cabinet, lorsque je l’ai vu le lendemain, on le voyant j’ai pris la décision de
suspendre toutes les audiences pour une durée indéterminée parce qu’il était
très affaibli. Le jeudi 13 mars il m’a appelé. J’ai vu qu’il était encore très
affaibli. Il m’a communiqué six noms, trois de l’étranger–– Felix Tshilombo
Tshisekedi, Claude Kiringa, le représentant au Canada, Willy Vangu, le
représentant en Afrique du Sud––et trois de l’intérieur : Valentin Mubake,
Roger Kakonge et moi même, en spécifiant que je reste son directeur de cabinet
et porte parole. Il m’a dit : c’est la nouvelle direction politique du
parti. Il n’avait pas encore précisé les fonctions de chacun à cette occasion.
"Depuis [le 13 mars 2014], les hauts cadres de l’UDPS n’ont plus vu Etienne Tshisekedi."
Notre séance de
travail a été interrompu par un incident que j’ai qualifié à caractère strictement familial. Depuis ce
jour, les hauts cadres de l’UDPS n’ont plus vu Etienne Tshisekedi.
Je pense que tous
les combattants de l’UDPS ne recherchent qu’une seule chose actuellement, c’est
de voir Etienne Tshisekedi en chair et en os s’exprimer librement sur la marche
du parti et du pays. A ce sujet ils seront intraitables comme Saint-Thomas. Il
est notre Président de la République élu, et cela doit faire comprendre les
frustrations qui s’expriment de telle ou telle manière. Après tout, l’Udps se
dit championne de la démocratie et, à ce titre, ne doit-elle pas s’appliquer le principe de liberté de contestation et d’expression à
soi-même ?
Est-ce qu’il est en communication avec vous et les
autres cadres du parti ?
Non, je ne suis pas en communication avec
lui. Il est là-bas depuis de le 16 août et son propre représentant pour le
Benelux n’a pas non plus eu l’opportunité de le rencontrer, ni un membre de son
comité. La gestion de sa convalescence ne le permet pas, semble-t-il.
Comment sortir de cette crise ? Je vois que
la déclaration récente est basée sur des frustrations réelles ; je vois
aussi que ce ne sont pas tous les dirigeants des fédérations qui ont signé la
déclaration, donc il y a une vraie division au sein du parti.
Il faut d’abord
avoir la volonté de sortir de cette crise. S’il y a cette volonté de sortir de
la crise et d’éviter la dislocation de l’UDPS, il faut partir de deux
constats : que le président avait une vision, c’est à dire une direction
politique genre directoire, mais que certains de ses proches ne sont pas
d’accord sur cela. Ce qui rend difficile l’application de la volonté du
président.
Deuxièmement, il
faut voir ce qui a pu fonctionner plus ou moins bien dans les dernières années.
En 2011 nous avons vu une équipe exécutive capable de mobiliser les structures
de base. Il faut en revenir à ça de sorte à ne pas perdre de temps. Il y a des
enjeux nationaux, des questions dans lesquelles la voix de l’UDPS n’est pas
entendue.
Vous pensez que le gouvernement pourrait essayé
d’enfoncer le clou en essayant de coopter une faction du parti, en le faisant
entrer dans un gouvernement de cohésion national ?
Il est vrai que
Kabila cherche à ratisser large et si possible attirer une personne dont la
proximité avec Etienne Tshisekedi ne peut être mise en doute. Maintenant, comme
ce gouvernement a trainé, ca rend plus difficile à quiconque de l’UDPS d’entrer
dans le gouvernement. Par contre, si le fameux « dialogue » que
certains quémandent résulte en la mise en place d’un gouvernement, là je crains
qu’il risque d’y avoir des preneurs même dans l’entourage au sens large d’Etienne
Tshisekedi.
Quelle sera la réaction de la base si l’UDPS entre
dans un gouvernement chapoté par Joseph Kabila.
Il y aura
dislocation du parti, ça c’est sûr.
Etienne Tshisekedi ne reviendra plus comme
président fonctionnel du parti ?
C’est un homme
auprès duquel j’ai travaillé pendant six ans, dont trois ans à 7,000 kilomètres
de distance l’un de l’autre. Je
crois que les gens doivent se souvenir que en 2010 avant de rentrer au pays, il
avait donné un interview à une magazine belge où il avait dit : « Je
rentre dans mon pays et je vais participer aux élections… oui c’est mon dernier
combat, le combat de toute une vie. » Le poussera-t-on à livrer le combat de trop ? Je ne le
souhaite pas car il est déjà plus important pour les congolais que n’importe
quel président de la république. Comme le disait Monsieur Jean Ping en 2011,
ses collaborateurs et partisans doivent assurer qu’Etienne Tshisekedi entre
dans l’histoire par la grande porte, et non à reculons.
"Le poussera-t-on à livrer le combat de trop ? Je ne le souhaite pas car il est déjà plus important pour les congolais que n’importe quel président de la république."
Mais dans
l’intérêt de la nation et du parti je prie chaque jour qu’il puisse revenir,
ne-fut-ce-que pour mettre en place cette nouvelle direction politique qui était
sa vision. À l’heure actuelle, toute direction politique qui n’est pas installée
par lui même aura des sérieux problèmes de légitimité.
Est-ce que ce n’est pas un problème pour le parti,
le fait qu’il faudra que la transition soit guidée par Tshisekedi lui même.
Est-ce que ce n’est pas une indication de la personnalisation du parti ?
Il y a une
réalité. Le vrai problème de l’UDPS c’est que Etienne Tshisekedi était devenu
plus grand que l’UDPS, en quelque sorte. Il est capable de mobiliser des
foules, l’UDPS seul n’est pas capable de mobiliser autant de foules. De l’autre
coté il faut comprendre qu’il fait parti d’une génération qui en terme
politique avait la culture de la personnalisation du pouvoir. Et n’avait pas la
culture de la préparation d’une succession. Tshiskedi a pensé au dernier moment
de mettre en place un groupe qui pourrait mener cette transition, jusqu’au
congrès, malheureusement, on ne lui a pas permis d’aller jusqu’au bout de son
idée.
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