L'auteur, Marcel Wetsh'okonda, est avocat et
chercheur indépendant basé à Kinshasa.
Les cours constitutionnelles jouent
un rôle de plus en plus important dans la régulation des élections dans un
nombre croissant des pays africains francophones. Qu’il soit perçu comme
positif, comme c’est généralement le cas au Benin, ou plutôt négatif comme au
Sénégal en 2012 ou au Burundi plus récemment, ce rôle fait des cours
constitutionnelles des acteurs de plus en plus importants de régulation de la
vie démocratique. La cour constitutionnelle de la République démocratique du
Congo (RDC) vient de rendre une décision qui semble indiquer la détermination
des juges de placer cette institution dans la catégorie des juridictions
constitutionnelles « positives » qui se voient avant tout comme une
autorité de régulation de la vie politique chargée de veiller au fonctionnement
normal des institutions.
Installée le 4 avril 2015, la cour
constitutionnelle de la RDC a déjà prononcé près d’une dizaine de décisions en
dix mois. Ceci constitue déjà une performance en soi si on considère que la
Cour correspondante dans un pays comme le Sénégal rend en moyenne sept décisions par mois. Aucune
de ces décisions ne peut, cependant, présenter autant d’intérêt que celle
prononcée le 8 septembre 2015, à la requête de la Commission électorale
nationale indépendante (CENI). L’opinion ne s’y est pas trompée. Ainsi, sans
avoir pris connaissance des termes de la requête de la CENI, le juriste et
commentateur Marcel Yabili avait-il mis la cour en garde contre le danger qui la
guettait, celui de se brûler. Abondant dans le même sens, dans une réflexion
publiée dans les colonnes du quotidien Le Potentiel paraissant
à Kinshasa, le député Christophe Lutundula Apala qui a acquis une solide réputation
parmi les juristes constitutionnels soutenait qu’à travers la même requête, la
cour était soumise à un test assez difficile : soit elle en sortait grandie,
soit elle allait y perdait sa crédibilité. Il me semble que par sa décision du
8 septembre la cour a fait un pas dans la direction de plus de grandeur et de
crédibilité.
Deux questions étaient soumises à la
cour. Par la première question, la CENI demandait à la cour d’interpréter l’article 10 de la loi
déterminant les modalités d’installation des 21 nouvelles provinces et
l’article 168 de la loi électorale pour déterminer le délai d’organisation des
élections des gouverneurs et vice-gouverneurs des nouvelles provinces. La
seconde question sollicitait l’avis de la cour sur la suite du processus
électoral au regard du dépassement du délai d’organisation des élections des
gouverneurs et vice-gouverneurs des nouvelles provinces.
Sur le premier point, la cour a
soutenu qu’il ne lui appartenait pas à elle d’interpréter les lois mais la
constitution. Cette position ne peut qu’être approuvée. S’inscrivant dans la
droite ligne de l’arrêt de la cour suprême de justice (CSJ) du 3 janvier
2007, elle a le mérite de clore, définitivement, la controverse suscitée par un
avis de la même cour du 20 janvier 2004. Dans ce dernier arrêt, la section de
législation de la CSJ s’était arrogée le pouvoir d’interpréter la constitution
de la transition, plus précisément ses articles 76 et 94, alinéa 2, relatifs à
l’étendue des pouvoirs du Président de la République pour nommer les animateurs
des services de sécurité civile et de protection civile. Cette position
jurisprudentielle a mis aux prises ceux qui soutenaient l’interprétation de la
chambre de législation de la cour et ceux qui l’accusaient d’avoir empiété sur
les attributions des sections réunies. Trois ans plus tard, c’est à ces
derniers que la cour donnera raison en confirmant que l’interprétation de la
constitution relevait de la compétence de ses sections réunies qui faisant alors office
de cour constitutionnelle et non de sa chambre de législation.
Sur le second point, bien qu’aucune
disposition de la constitution ou des lois pertinentes ne consacre sa compétence en la matière, la cour a estimé qu’elle était
en droit d’émettre son avis sur les questions politiques, en
particulier celles liées au processus électoral, lorsque les procédures
politiques normales dont ces questions relèvent paraissent incapables de les
résoudre et qu’aucune autre juridiction ne peut le faire. La cour a estimé que
cette compétence découlait « de son pouvoir de régulation de la vie politique, du fonctionnement des
institutions et de l'activité des pouvoirs publics ». Même lorsqu’elle émet de tels avis, a-t-elle
poursuivi, la cour décide non pas par voie d’ « avis », mais par
voie d’ « arrêts ». La nuance est plus que sémantique :
contrairement aux avis, les arrêts « ne sont susceptibles d'aucun recours et sont
immédiatement exécutoires », comme la cour a tenu à le rappeler.
Il faut s’attendre à ce que cette
position jurisprudentielle provoque une controverse animée entre les partisans
d’une interprétation maximaliste des compétences de la cour et ceux qui s’en
tiennent plutôt à une interprétation minimaliste. Une situation similaire a été
observée notamment à la suite du prononcé, par la CSJ
faisant office de cour constitutionnelle, de son arrêt du 1er septembre 2006 relatif à la prorogation du
délai du second tour de l’élection présidentielle de 2006. Avant d’y revenir,
avec force détails, dans une étude plus élaborée, il nous suffira de relever
que la cour constitutionnelle s’est ici démarquée du conseil constitutionnel
sénégalais, en faisant preuve d’une audace
remarquable là où celui-ci est critiqué sévèrement par une partie de l’opinion
pour ce qu’ elle décrit comme une "certaine pusillanimité" ou une
"pusillanimité certaine".
La jeune cour constitutionnelle
congolaise a considéré que le défaut d’installation des bureaux définitifs des assemblées desdites
provinces et l’indisponibilité d’un budget conséquent ont constitué un cas de
force majeure qui a empêché la CENI d’organiser les élections des gouverneurs
et vice-gouverneurs des nouvelles provinces dans le délai légal. D’après la cour, la CENI est donc exemptée de
toute faute et peut ainsi organiser ces élections à une autre date à déterminer
à la suite de la réévaluation, en toute indépendance et impartialité, du
processus électoral.
L’argument de la cour semble un peu
tiré par les cheveux. Trois caractéristiques doivent être attachées à un
évènement pour qu’il constitue un cas de force majeure. L’évènement doit être à
la fois imprévisible, irrésistible et insurmontable. Dans le cas d’espèce, la
cour n’a pas évoqué le caractère imprévisible des faits constitutifs de la
force majeure. De même, elle ne semble pas avoir suffisamment démontré leurs caractères " irrésistible et
insurmontable". Sous réserve de ces faiblesses, il est heureux de
constater que la cour soit allée plus loin que la CSJ dans son avis RL 013 du
27 avril 2006 dans lequel aucun de ces caractères n’avait été évoqué ni ne
pouvait être démontré. Toutefois, à l’avenir, il serait souhaitable que la
motivation de la cour soit plus étoffée de manière à démontrer que la force
majeure résulte de faits qui sont vraiment, et à la fois, imprévisibles et
irrésistibles. Ce qui aurait l’avantage, non seulement de ne pas prêter le
flanc à la critique, mais aussi et surtout, de faire preuve de pédagogie dans
un contexte où la culture du constitutionnalisme est encore en construction.
Ainsi la Cour s’est reconnue le
droit d’émettre son « avis » sur les questions constitutionnelles
liées au calendrier électoral et elle a adjugé la force majeure en renvoyant la CENI à sa copie sans, cependant, lui fixer
de délai butoir pour s’exécuter.
Enfin, en attendant l’organisation
des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs des nouvelles provinces, la
cour a ordonné au Gouvernement de prendre les « mesures
exceptionnelles » qui s’imposent en vue d’assurer l’administration de
celles-ci. On peut se demander s’il n’y a pas ici un nouveau nid à contentieux.
Des gens peu informés pourraient croire qu’en application de l’arrêt, le
Président de la République et/ou le gouvernement sont autorisés à prendre des
mesures inconstitutionnelles, par exemple, en nommant des Gouverneurs et
vice-gouverneurs ad intérim. Cette interprétation semble avoir été
écartée par la cour elle-même : non seulement elle a tenu à affirmer
« le caractère irréversible du processus d'élection des Gouverneurs et
Vice-gouverneurs des provinces concernées » mais dans son entendement, les
mesures exceptionnelles dont il est question devraient être décrétées dans le
seul but de « faire régner l'ordre public, la sécurité et assurer la
régularité, ainsi que la continuité des services publics dans les provinces
concernées ». Ces mesures exceptionnelles ne sont donc pas destinées à
remplacer l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs puisque, toujours
d’après la cour, elles doivent être prises « en attendant l'élection des
Gouverneurs et Vice-gouverneurs, ainsi que l'installation des gouvernements
provinciaux issus des élections prévues par l'article 168 de la loi
électorale.»
Une
dernière observation mérite d’être faite. Dans son avis, le Procureur général
près la cour a soutenu que la décision de la CENI portant calendrier électoral
est inconstitutionnelle en ce qu’elle ne prévoit pas l’enrôlement des nouveaux
majeurs, ce qui revient à leur priver l’exercice de leurs droits civiques.
Curieusement, cet argument ne semble pas avoir
été rencontré par la cour. En cela, son arrêt ne manquera pas d’être accusé de
manquer de motivation ou de motivation insuffisante, ce qui, en droit, revient
au même. Allant encore plus loin, d’aucuns se demanderont si, entre le droit
constitutionnel de vote et le
fonctionnement régulier des institutions de
l’Etat, la cour n’a pas choisi celle-ci, au détriment de celui-là. Seuls les
arrêts ultérieurs de la haute cour permettront de répondre à cette
interrogation.
En guise de conclusion, il y a lieu
de noter que cet arrêt sur les élections constituera une référence
incontournable dans l’histoire de la jeune cour constitutionnelle congolaise.
On l’approuvera sur tel ou tel autre point, on déplorera sa position sur telle
question ou telle autre question de droit. Mais on ne pourra rester indifférent
à son égard.
L’incompétence de la cour
constitutionnelle en matière d’interprétation des lois, son audace
jurisprudentielle consistant à reconnaître sa compétence consultative et le
fait que dans l’exercice de cette compétence comme dans celui de sa compétence
contentieuse, elle se prononce toujours par voie d’arrêt, sans oublier le
rappel de quelques caractères des faits constitutifs de la force majeure, ne
manqueront pas d’être salués, tout au moins par une partie de la doctrine.
En revanche, le manque de fondement
explicite de sa compétence consultative, l’omission du caractère imprévisible
des faits constitutifs de la force majeure et
surtout le manque de motivation suffisante de celle-ci autant que la
méconnaissance du moyen du Procureur général du parquet près la cour relatif à l’inconstitutionnalité de la décision
de la CENI portant calendrier électoral seront, à coup sûr, stigmatisés par une autre. Il en va de même de
l’imprécision qui entoure les mesures exceptionnelles attendues du gouvernement
pour assurer la gestion de nouvelles provinces en attendant les élections des
gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces.
Ainsi se consolide la démocratie
constitutionnelle.
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