Ce blog a été écrit par Noel Obotela Rashidi, professeur d'histoire à l'Université de Kinshasa et directeur adjoint du Groupe d'étude sur le Congo (GEC), un projet commun du Centre d'études politiques (CEP) et le Centre pour la coopération internationale (CIC) de l'Université de New York.
L’annonce
de la mise en route du processus de décentralisation a provoqué à la fois de
l’enthousiasme et du pessimisme. Si les uns s’abritent derrière le principe du
« rapprochement de l’administré de l’administration », d’autres, par
contre, s’étonnent de la précipitation avec laquelle cette installation est
menée. Ce groupe argumente et relève notamment l’état de ces nouvelles entités
où les infrastructures demeurent absentes. Nonobstant ces éléments, les acteurs
politiques tiennent à leurs « nouvelles provinces », quel qu’en soit
le coût. Evidemment entre volonté et faisabilité persiste un fossé difficile à
franchir sans en relever les défis.
D’aucuns
trouvent dans cette installation précipitée la revanche du
« glissement ». Les diverses tentatives ayant raté, le découpage
territorial constituerait aujourd’hui la porte conduisant vers la prolongation du
mandat et une éventuelle ouverture vers une transition qui ne dit pas son
nom ! Le processus électoral serait un autre pilier de cette stratégie
dite du « chaos ». Les conditionnalités posées par les différents
camps arrangeraient bien quelques uns ! Le fait de ne pas enrôler les
électeurs ayant atteint l’âge requis est un ingrédient qui s’ajouterait à ce
mélange et corserait davantage ce cocktail. D’après certains observateurs, le
dernier pilier de la stratégie pourrait être les attaques perpétrées à l’Est
par les groupes armés et les massacres dans le Territoire de Beni, œuvre de
présumés ADF, ainsi que les invasions périodiques des armées ougandaise et
rwandaise ! Cette situation engendrerait de l’insécurité dans certaine
partie de la République. L’écroulement de l’un des piliers sonnerait alors le
glas du processus susceptible de conduire le pays vers l’alternance et rendrait
difficile la tenue des élections sur l’ensemble du territoire national.
L’histoire de la Deuxième République
pourrait-elle inspirer ?
Trois
faits enregistrés durant la Deuxième République méritent d’être rappelés.
L’histoire va-t-elle recommencer ou se répéter ?
En
1990, le Zaïre sous Mobutu avait mis en place ce que l’on avait désigné « la territoriale des originaires ».
Il s’agissait de remettre les cadres territoriaux dans leurs provinces
d’origine. Plusieurs cadres, bien qu’ayant regagné leur province, se sont
retrouvé sans poste d’affectation jusqu’à ce jour ! Certains parmi eux
étaient partis – presque chassés- en ayant pas eu le temps de se préparer.
Pour
quitter la dictature et amorcer l’entrée dans la sphère démocratique, le Zaïre
avait initié la Conférence Nationale Souveraine (CNS), en 1991. Ce forum qui
avait regroupé les délégués des forces vives avait été lancé, le 7 août 1991,
pour se clôturer, le 5 décembre 1992. Alors que la dynamique de cette
conférence évoluait vers des institutions démocratiques, le pouvoir trouva une
astuce pour l’arrêter par une « motion » ayant entraîné la lecture de
la « tristement célèbre motion de la géopolitique » lue à la tribune
par un délégué ! Cet appel réclamait le réaménagement de la
représentativité des délégués selon le poids démographique de chaque province.
Les travaux de la CNS étaient alors suspendus ; la réouverture de la CNS,
en avril 1992, a été précédée, le 16 février 1992, par la marche des chrétiens
qui entraîna d’innombrables victimes !
Au
même moment, au Katanga sévissait une purge visant les Kasaiens qui étaient
chassés dans des conditions effroyables et dépouillés de leurs biens !
Nombreux y avaient perdu la vie, d’autres
se sont retrouvé au Kasai dans un univers qu’ils ne connaissaient guère !
Une manche des « identités
meurtrières » était ainsi jouée. Le pouvoir de l’époque avait tenté de
réitérer le même scénario à Kisangani. Le processus avait échoué car la
population n’y avait pas adhéré ni souscrit. Néanmoins, quelques « non originaires » avaient reçu des
menaces verbales lancées par des
zélés proches du pouvoir.
Dans
l’enthousiasme préparant l’arrivée de ces nouvelles provinces, les notabilités
de chaque future entité s’agitent déjà. Dans la Province Orientale, l’ancien
District de la Tshopo (bientôt Province de la Tshopo) a vu se réunir, du 7 au
15 avril 2015, un forum de réflexion sur le développement et l’émergence de
cette nouvelle entité. Il en est sorti un cahier des charges à proposer aux
futurs dirigeants. Les participants avaient notamment fait un plaidoyer quant
au choix des futurs dirigeants qui devront répondre aux critères de compétence
et d’intégrité ! Curieusement sous le couvert du développement est née une
polémique sur le choix du futur Gouverneur de Province ? Des propos, à la limite,
outranciers et xénophobes, auraient été adressés au Gouverneur en fonction
(originaire de la future Province de l’Ituri) invité à faire ses bagages
(sic) ! Un des organisateurs de ce forum avait, par la suite recadré le
débat en assurant que tout Congolais qui désire s’installer dans la Tshopo
serait le bienvenu : « Il peut
exercer les activités politiques sans aucune crainte, et cela est encadré par
la Constitution ». Qui pourrait croire à un tel discours quand en
coulisse, les propos xénophobes sont distillés ?
Tout
en tenant à préserver leur identité culturelle de l’espace kasaien même après
le découpage territorial, les membres de l’ASBL « Grand Kasai » réunis, du 1er au 2 mai 2015, à
Kinshasa ont discuté sur les enjeux électoraux, la décentralisation, le
découpage territorial, l’industrialisation et sur les potentialités de
développement de l’espace géographique regroupant encore les Provinces du Kasai
Oriental et du Kasai Occidental. Demain il sera scindé en cinq nouvelles
entités.
Partout
c’est le même discours du développement qui se trouve en vedette, mais dans les
coulisses profilent la xénophobie et les futures « disputes » entre
différents Territoires et peut-être
entre divers groupes ethniques pour occuper les postes stratégiques
(Gouverneur de Province, Président de l’Assemblée Provinciale, etc). La
répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections
provinciales risquerait de constituer aussi une pierre d’achoppement.
Quid
du fichier électoral ?
La CENI a opté pour l’exécution de son
calendrier. Entretemps les listes électorales n’ont pas fait l’objet
d’une réactualisation comme les partis de l’Opposition ne cessent de le réclamer.
En effet, de 2006 à ce jour, il y aurait plus de 5 millions de nouveaux
électeurs à inclure dans le fichier électoral. La rencontre des représentants
de certains partis politiques de l’Opposition et la CENI n’a pas permis une
quelconque avancée dans ce sens.
L’UDPS
fait un pas en avant et un pas en arrière ! En annonçant, le 22 avril
2015, à Goma, la décision de déposer les candidatures aux élections
provinciales, l’UDPS surprend. Elle entoure néanmoins cette décision de
conditionnalités. Par la voix de Félix Tshisekedi, l’UDPS déclare :
« Nous participerons, mais à
condition évidemment que tous les préalables soient réalisés. Par exemple, par
rapport au fichier électoral, les nouveaux «électeurs qui doivent être enrôlés ».
Amorcées
dans la foulée de la décentralisation, ces élections risqueraient, comme le
soutient l’AETA, « de conduire à une
catastrophe électorale pire que celle de 2011 ». D’autres contestations pourraient surgir de ces nouvelles entités
qui ne se verraient pas ainsi prises en
compte dans la répartition des sièges dans les Assemblées provinciales.
La situation
sécuritaire toujours instable
Les derniers développements de la situation à Beni traduisent
l’exaspération de la population qui se sent abandonnée. Elle avait même menacé
de prendre en charge sa sécurité en lieu et place de l’armée ! A l’Est
même, les FDLR et d’autres groupes attaquent épisodiquement les FARDC. Certains
axes routiers paraissent dangereux. En Ituri, les éléments du FRPI n’ont guère
baissé la garde et poursuivent le harcèlement des FARDC. A cela s’ajoutent les
incursions périodiques des armées ugandaise et rwandaise. Les FARDC semblent
dépasser par la situation. Si cette situation perdure au moment des élections
comment les opérations pourraient-elles s’organiser ?
Il
serait peut-être prématuré et même illusoire de parler de la stratégie du
« chaos ». Toujours est-il que les ingrédients d’un tel scénario se
plantent inexorablement. Le couple « décentralisation – processus
électoral » pourrait devenir demain le décor d’un bouleversement
inattendu ! Il faudra craindre demain la xénophobie ou le renvoi des
cadres de la Territoriale ou ceux œuvrant dans des sociétés paraétatiques vers
leurs provinces d’origine au nom de nouvelles entités !
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