Philippe Biyoya est directeur de l'Institut panafricain des relations internationales et stratégiques (IPRIS) et professeur en sciences politique à l'Université de Lubumbashi.
Monday, July 27, 2015
Tuesday, July 21, 2015
Relève au sein des FARDC : la fin des massacres à Beni?
Le chef de la MONUSCO Martin Kobler et le Gouverneur Julien Paluku assistent aux obsèques des victimes des massacres à Beni (Radio Okapi) |
Voici plus
d’un mois qu’il n’y a plus eu de massacres en ville et Territoire de Beni, malgré la
persistance de bruits de bottes. L’accalmie coïncide avec la relève du
commandement et d’une partie des troupes des FARDC engagées dans les opérations
Sukola 1 contre les rebelles ougandais ADF (Allied
Democratic Forces). La concomitance de la fin – ou suspension – des massacres
avec ces changements au sein des FARDC
attire certes la curiosité sur la portée de ceux-ci, mais surtout sur le
rôle des FARDC, les facteurs ayant conduit à la relève et les conséquences
perçues de ces changements sur l’évolution du contexte.
La relève et
restructuration au sein des FARDC engagées dans les opérations Sokola 1
Les cérémonies de passation du commandement ont eu lieu
le vendredi 5 juin 2015 au camp FARDC de l’OZACAF Beni. Le Général de Brigade
Muhindo Akilimali Charles (Akili Mundos), commandant la 31e brigade,
a été remplacé à la tête du secteur opérationnel Nord-Kivu, Grand-Nord,
Opérations Sukola 1, par le Général de Brigade Mbangu Mashita Marcel. La
mission assignée au nouveau commandant : neutraliser les ADF. L’ancien
commandant adjoint des opérations Sukola 1, colonel Muhima, a également été remplacé. La cérémonie, présidée
par le commandant de la 3e zone de défense des FARDC, le
général-major Léon Mushale, s’est déroulée en présence du chef d’Etat-major
général des FARDC, le général Didier Etumba, et du Représentant spécial adjoint
du Secrétaire Général des Nations unies en RDC, David Gresley.
Au niveau des troupes, celles qui ont été relevées du Nord-Kivu sont :
- le 801ème Régiment du colonel Mugisha, relevé de Kasando (Territoire de Lubero) ;
- le 1007ème régiment du colonel Karomo (désormais 3415ème brigade et redéployé au Sud-Kivu) ;
- le 808ème régiment du colonel Murenzi, redéployé au Sud Kivu comme 3407ème brigade ;
- la 31ème Brigade commandée par Mundos (redéployée à Mambasa).
- le 311ème bataillon URR (unité de réaction rapide) du général Kalonda venu de Nyiragongo pour couvrir désormais l’axe Mbau-Kamango ;
- le 3302e régiment (en remplacement du 808e);
- le 3310e régiment ;
- le 3304e régiment en provenance de la plaine de la Ruzizi.
Certaines autres troupes ont subi des petits changements sans être
déplacées de Beni. En l’occurrence :
- Le 805ème régiment est devenu 3402ème brigade ; il sera sous les ordres du colonel Balinga en remplacement du colonel Kennedy, pour contrôler la brousse autour d’Oïcha ;
- Le 809ème régiment devenu 3408ème brigade contrôle Oïcha qui devient un sous-secteur opérationnel, sous les ordres du colonel Fredy Kabalenga, en remplacement du colonel Kisembo ;
- Le 1003ème régiment devient 3413ème brigade et contrôle Beni-ville sous les ordres du colonel Emile, en remplacement du colonel Tangazo, muté désormais sur l’axe Mutwanga à la tête du 1006ème régiment (devenu 3414ème brigade).
Il est tôt d’essayer de parler
de conséquences de ces changements. Mais déjà on peut constater une hausse en
confiance de la population locale envers l’Etat, et on voit que les paysans
commencent à rentrer dans leurs champs. Ces changements ont aussi ouvert
l’opportunité de renforcer la discipline militaire en enquêtant sur l’implication de
certains FARDC et en sanctionnant les éventuels indisciplinés (Comme le lieutenant-colonel Benjamin
Kiwebe arrêté le 14/06/2015). Néanmoins, les massacres continuent– on en compte
trois depuis le départ du Général Mundos : le 26 juin, le 9 juillet et le
14 juillet.
Confusion
sur les forces en présence et le rôle des FARDC
Le départ des
commandants contestés n’a pas maté la controverse autour de l’identité des
assaillants. Les conjectures et spéculations demeurent dans tous les
sens :
- Les ADF qui ne seraient plus que cinq centaines avant d’être quasi-entièrement défaits par les Opérations Sukola 1 pendant le premier semestre 2014 et dont les résidus seraient tentés de se venger ou de détruire la confiance de la population envers les FARDC ;
- Les familles hutu dont les migrations en quête de champs vers « Boga et Tchabi » en passant par Beni coïncident avec les massacres à Beni ;
- Les élites politiques locales rivales qui essaieraient de se diaboliser mutuellement à l’approche des élections ;
- Les FARDC, infiltrées ou complices, dont l’inaction ou l’inefficacité face aux massacreurs ne rime point avec leur omniprésente position de force dans la contrée ;
- Le M23 et autres groupes armés intéressés à préparer le lit d’une nouvelle rébellion.
Monday, July 20, 2015
Burundi votes, bracing for unrest
Nkurunziza, Kikwete, Kenyatta, Museveni, and Kagame (Associated Press) |
Burundi stands at a crossroads in its peace process. As Burundian go to the polls tomorrow to elect a president, more than at any other time since the signing of the Arusha Agreement in 2000, the country risks relapsing into broad scale violence.
Since President Pierre Nkurunziza announced on April 25 that he would stand for a third term in office––a step explicitly barred by the Arusha Agreement of 2000––the country has been in turmoil. Three weeks of protests in the streets of Bujumbura culminated in a coup attempt, which failed and sent the coup plotters into exile or prison. The coup also transformed the dynamics of protest, allowing the government to portray all protesters as rebel sympathizers (some radios and protesters had indeed celebrated the coup) and to radicalize their repression. This, in turn, sent a message to the opposition that "the only way [to get rid of Nkurunziza" will be through violence," as Alexis Sinduhije, leader of the MSD party, put it.
The future, to a significant degree, lies in the hands of regional leaders. South Africa and Tanzania were the brokers of the Arusha Agreement, as well as of subsequent agreements between the then-government and the CNDD-FDD rebellion (now in power) in 2003, and between the government and the FNL in 2008. It is true that donors have extensive financial influence––around half of national budget comes from foreign aid, and the country would be insolvent with outside support––but the Burundian president appears willing to tighten the country's fiscal belt if needed, and aid cuts would probably hurt the poor fastest and hardest.
It would be more difficult for Nkurunzuza, however, if, as Burundi's neighbors began to force him out of power. When Pierre Buyoya carried out a coup in 1996, its neighbors imposed a trade embargo for several years that brought the country to its knees.
Indeed, this time, again, it appeared that the region was going to weigh in against a third term for Nkurunziza. In March, Tanzanian President Jakaya Kikwete came out against a third term for Nkurunziza. Rwanda's President Paul Kagame, who himself appears to be seeking a third term, rather said that Nkurunziza should step down because he is not delivering for his people.
However, a meeting of the East African Community (EAC) in Dar es Salaam on 31 May concluded only by condemning the coup attempt and asking for the government to postpone elections and disarm youth militias. It made no mention of the third term issue, despite a confidential report (leaked later) by the Attorneys-General of the EAC saying that another term would violate the constitution. Since then, Kikwete has instead suggested that the crisis could be resolved by forging a government of national unity. Similarly, while South African President Jacob Zuma initially called on Nkurunziza to respect term limits, South African officials appear to be prevaricating now. (Zuma's former wife, Nkosazana Dlamini-Zuma, the chairperson of the African Union, has been more consistent)
Why this change of opinion? In part, it may just be because leaders in the region are attempting to placate and talk reason into an increasingly obstinate Nkurunziza. Also, it is difficult for leaders such as Museveni, who changed his own constitution in 2005 to run for another mandate, and Kagame, who appears to be preparing to do the same, to oppose term limits.
But a more likely reason is geopolitics. Burundi has become swept up in regional antagonisms that pit Rwanda against Tanzania and South Africa. Part of this is economic––Rwanda, Kenya, and Uganda form part of a "union of the willing" within the East African Community more eager to pursue regional integration than Burundi and Tanzania.
But there is also a larger, more weighty power struggle. Tanzania has chided Rwanda for not negotiating with its armed opponents, the FDLR. This lead to virulent attacks against Kikwete by Rwandan media and politicians, and relations between Kagame and Kikwete are famously frosty. South African officials still bridle at Rwandan attempts to assassinate its opponents on South African soil, including just before the beginning of the World Cup in 2010.
The two countries' decision to send troops as part of the United Nations special brigade to combat the Rwandan-backed M23 in the Congo should be seen in that light. As should evidence that Tanzania has been hosting FDLR delegations since at least 2013 (as documented by the UN Group of Experts), and the unwillingness of both Tanzania and South Africa to back military operations against the FDLR in the Congo. In meetings with diplomats, Tanzanian officials have gone so far to call the FDLR "freedom fighters." Rwanda now claims that Nkurunziza is colluding with FDLR, although there has been little evidence of that thus far.
There is also mounting evidence that Rwanda has been backing Burundi's coup plotters. Several of them fled to Rwanda after their failed attempt to take power. According to sources in Rwanda and among the diplomatic community, insurgents who launched an attack on northern Burundi on July 10 came from Rwanda and had some backing there. Both Rwanda and the coup plotters deny these accusations, and the attacks appear to have been weak and poorly organized. However, diplomats who attended the EAC meetings suggest that Kikwete's change of heart came because he believed Rwanda was trying to overthrow Nkurunziza.
Burundi's crisis is unlikely to escalate further without regional interference. None of the political parties and armed factions in Burundi appear to have the resources or manpower to challenge Nkurunziza's hold on power at the moment. If the region continues on this path, however, the country could take a turn for the worse. Alternatively, if the region opts for peace, there is a strong likelihood they will be able to usher it in.
Wednesday, July 15, 2015
Jean Kenge: Une crise programmée ?
President Kabila with representatives of the Kimbanguist Church during his consultations (Radio Okapi/John Bompengo) |
Censées consolider l’unité du peuple congolais
face à «l’agression extérieure» et mobiliser les énergies autour des objectifs
du développement, les concertations nationales convoquées fin 2013 n’avaient
pas réussi à fédérer l’ensemble des forces vives de la RDC. Bien au contraire, plusieurs
acteurs politiques et de la société civile s’étaient désolidarisés de
l’initiative en dénonçant son caractère unilatéral et cavalier.
Un rendez-vous manqué, en somme. Le dialogue
voulu par l’Accord-cadre d’Addis-Abeba avait ainsi opéré sa mue, exacerbant les
divisions au sein de la classe politique congolaise avec d’un côté la majorité
à laquelle s’étaient joints certains partis politiques de l’opposition tels que
l’UNC, le MLC et l’UFC de Kengo wa Dondo, face à un front du refus mené par
l’Udps d’Etienne Tshisekedi et ses alliés.
Entre les deux camps, la communauté
internationale dont les envoyés spéciaux – Union Africaine, Union Européenne,
USA - s’étaient régulièrement déployés dans la région des grands lacs, n’avait
pas ménagé ses critiques, dénonçant le non respect par la RDC de l’un de ses
engagements pris dans le cadre de l’Accord d’Addis-Abeba.
Aujourd’hui encore, il n’est pas sûr que la
situation n’est pas la même et que les mêmes causes ne finiront pas par
produire les mêmes effets. En témoignent les deux principaux messages rendus
publics par Joseph Kabila et Etienne Tshisekedi à l’occasion du 55ème
anniversaire de l’indépendance de la RDC.
Si, globalement, le président congolais et le
leader de l’Udps semblent s’accorder sur les points à l’ordre du jour du
dialogue à venir - consensus autour du
calendrier électoral, fiabilisation du fichier et enrôlement des nouveaux majeurs,
financement et sécurisation du processus électoral – ils divergent totalement,
en revanche, sur les objectifs et la méthodologie. Ainsi, là où Joseph Kabila
est resté muet sur son sort à la fin de son deuxième et dernier mandat, l’Udps
martèle sur le respect des articles verrouillés de la constitution – notamment
le célèbre 220 qui interdit tout troisième mandat. Même antagonisme en ce qui
concerne la facilitation. Là où Joseph Kabila récuse toute médiation
internationale, l’Udps invoque l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et appelle la
communauté internationale à apporter la garantie de bonne fin du dialogue.
Des positions diamétralement opposées, très
caractéristiques d’un véritable dialogue des sourds. Ce qui n’exclut pas des
phénomènes de vases communicants entre les deux camps, notamment dans le chef
de certains partis politiques de l’opposition – en témoigne leur participation
à la session extraordinaire du parlement sur la répartition des sièges pour les
élections locales et municipales – tentés de rejoindre les propositions du chef
de l’Etat dans l’espoir de jouir des dividendes de l’après-dialogue, là où l’Udps
serait tentée de saisir le prétexte du refus de la médiation internationale
pour se réconcilier avec le MLC, l’UNC, les FAC...au profit d’un front du refus
revu et renforcé.
Il restera, alors, à déterminer quel scénario
un tel développement augure pour l’avenir. D’ici là, dialogue des sourds ou
concertations nationales-bis, tous les ingrédients semblent se mettre
progressivement en place pour une crise déjà programmée. Mais à qui
profitera-t-elle ?
MONUSCO: Waltzing alone?
Martin Kobler in front of the UN Security Council (UN Photo/Loey Felipe) |
But the key, less sanguine, line came earlier in Kobler's presentation: "The success of our mandate rests on a continued, constructive, partnership with the Government."
So what's with that partnership?
Following the suspension of military cooperation, and a sharp disagreement over how many troops should be reduced during mandate renewal in March (the UN decided on not renewal a temporary increase of 2,000, whereas the Congolese government had asked for a decrease in 6,000), the two sides began a "strategic dialogue" in order to iron out their differences.
Alas, the dialogue has made slow progress. As one UN official told me, "the government wanted to get through the dialogue what they couldn't get at the Security Council: troop reductions." Recently, the two sides conducted a joint evaluation mission to the eastern Congo to assess the security situation. The government concluded that things were looking good and that MONUSCO should begin downsizing. While the UN can begin reducing troop levels without Security Council approval, this would be difficult to justify: the figure of 2,7 million displaced has remained relatively static over the past year, inching up to 2,8 million in March, and little progress has been made of late against armed groups or in the training of new Congolese army units.
The assessment mission did not break the deadlock in military cooperation. While joint operations started up again in Ituri, there is only informal collaboration in the Kivus in the Sokola I and Sokola II operations against the ADF and FDLR, respectively. And Kobler has ruled out launching unilateral operations against armed groups for now.
Military operations are only one part of the mission's mandate. However, the Congolese government has avoided discussing MONUSCO's political attributes. For example, the Security Council asked Kobler to provide his "good offices" to facilitate a dialogue among political parties concerning the electoral process. He tried to do so last year, but was quickly reprimanded by President Kabila. Since then, he has been forced to instead rely on one-on-one discussions with political parties. Kabila's stand remains firm; most recently, the government rejected the opposition UDPS party's demand that there be an international facilitation for any political dialogue.
Without a political role to play, and stonewalled militarily, MONUSCO has been increasingly marginalized, despite its 20,800 troops, 3,500 civilians, and $1,4 billion budget. This is not a new development––it is a trend that dates back to the end of the transitional government in 2006; the robust peacekeeping in Ituri of 2005-2006 and of the Force Intervention Brigade in 2013 are exceptions to this.
Will the trend continue? Will MONUSCO play an important role in the 2015-2017 electoral process, in negotiations with armed groups, or in the new DDR process? Or is the mission on its way out? As Kobler said, the answers to these questions are constrained by the government's attitude, which has been largely antagonistic in recent years. The challenge for UN leadership will be to find leverage and common interests where it can. As Martin Kobler will soon be leaving, that will largely be a task for his successor.
Friday, July 10, 2015
Jean Kenge: En rire ou en pleurer ?
©Kash 2015 |
Les Congolais ne savaient pas, le
week-end dernier, quelle attitude adopter face à la montée au créneau de
plusieurs représentants des pouvoirs publics qui se sont précipités à étouffer
l’ affaire de la prétendue plainte du chef de l’Etat contre certains de leurs
dirigeants.
Selon plusieurs médias – dont l’Agence
France Presse et Radio Okapi – qui ont
évoqué l’affaire, le chef de l’Etat congolais avait, par l’entremise de son conseiller
spécial en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la
corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, déposé le 23
juin 2015 une plainte à l’office du procureur général de la république à charge
de plusieurs personnalités publiques pour corruption, détournement de deniers
publics, etc. Selon les mêmes sources, quatre gouverneurs de province, l’ancien
directeur de cabinet du président de la république, un membre du gouvernement
en fonction et un autre ayant déjà quitté ses fonctions au sein de l’équipe
gouvernementale étaient visés par la plainte. Des noms des gouverneurs de
province tels que Moïse Katumbi Chapwe (Katanga), Marcellin Chishambo (Sud-Kivu),
Alphonse Ngoyi Kasanji (Kasaï Oriental), Alex Kande Mupompa (Kasaï occidental)
ont été abondamment cités.
L’onde de choc a été telle que plusieurs
sources officielles ont aussitôt entrepris, sinon de démentir l’information, à
tout le moins de la nuancer.
Julien Paluku, gouverneur du Nord-Kivu,
a été le premier à proposer la première partition de ce changement de ton en
parlant de rumeur. C’était le 25 juin à
l’issue d’un entretien entre Joseph Kabila et les gouverneurs de provinces
venus à Kinshasa lui faire le rapport des consultations avec les forces vives
de l’arrière-pays sur le dialogue politique. Personne ne l’avait pris au
sérieux. Jusqu’au moment où, jeudi 02
juillet, le procureur général de la
république en personne, Flory Kabange, a confirmé ce nouveau développement.
Premièrement, en parlant d’une dénonciation et non d’une plainte, ce qui en
change la portée. Deuxièmement, en confirmant l’ouverture d’une information
judiciaire qui risque, évidemment, de prendre du temps et d’exiger des moyens
conséquents…
La déclaration était assortie d’une
menace contre tous ceux qui continueraient à citer des noms en piétinant le
principe de la présomption d’innocence.
Deux questions pouvaient, au minimum, se
poser à ce stade. La première : un président de la république peut-il
verser dans la dénonciation et la délation au risque de s’exposer à des
poursuites? Deuxième question : pourquoi les médias ayant cité des noms ne
sont-ils pas poursuivis ou, à tout le moins, mis au défi de produire la fameuse
plainte afin d’édifier l’opinion?
Le déminage délicatement entrepris par
le procureur général de la république poursuivait ainsi clairement l’objectif non
pas d’apporter un nouvel éclairage mais d’étouffer l’affaire. Pour preuve, ses
déclarations telles que «les enquêtes de ce genre sont longues» ou encore
«quelqu’un qui détourne ou qui fait l’exercice de blanchiment de capitaux prend
toutes les précautions pour ne pas se faire prendre ».
Pour autant, la volonté d’imposer le
silence n’a pas toujours suffi, certes
pour des raisons parfois inattendues. Ainsi dans un communiqué rendu public
vendredi 03 juillet, le premier ministre Matata Ponyo s’est cru à son tour obligé
de jouer sa propre partition. D’abord, en appuyant le procureur général de la
république avec une mise en garde à tous ceux qui risquaient de porter atteinte
à l’honneur de certaines personnalités en continuant de citer des noms.
Ensuite, en tirant subtilement la couverture de son côté par la réaffirmation
du leitmotiv qui a toujours conduit son action depuis qu’il s’était occupé du
ministère des finances jusqu’à son ascension à la Primature. Une action, au
plan tant juridictionnel qu’institutionnel, qui a beaucoup investi dans la
lutte contre la corruption et les détournements.
Question : le premier ministre
s’est-il senti menacé, d’une manière ou d’une autre, par cette affaire, du simple
fait que l’un ou l’autre membre du gouvernement aurait été cité, ou s’est-il
senti obligé de prêcher anticipativement - mais pourquoi donc - la
pédagogie de la solidarité gouvernementale? On ne le saura peut-être pas de
sitôt. Ce qui est sûr en revanche, c’est que Matata Ponyo s’est publiquement
insurgé contre «la crédibilité des documents contradictoires actuellement en
circulation au niveau de la presse, et qui, malheureusement, citent le nom d’un
membre du gouvernement en fonction et évoquent les fonctions d’un autre déjà
parti du gouvernement».
Opération réussie? L’interrogation
persiste, d’autant que le premier ministre a visiblement tenu à s’exposer
lui-même dans une affaire où il n’était pas cité. De même, si les documents en circulation sont
contradictoires, ils ont néanmoins le mérite d’exister et de n’avoir pas fait
l’objet d’un démenti formel dans les médias incriminés. Et s’il est légitime de
s’interroger sur la crédibilité de ces documents, il est en même temps difficile
d’éviter qu’une telle ligne de défense ne se justifie pas par la confirmation
que des noms ont été cités…Ce que le premier ministre vient de faire à travers
son communiqué.
La quadrature du cercle, en somme. Car,
si le mérite d’un faux est de mettre en lumière le vrai, dans le cas d’espèce,
plainte ou dénonciation, le document authentique n’est toujours pas venu
chasser le faux afin de couper court à la rumeur. Mais encore?
A l’évidence, le procureur général de la
république s’est employé à désamorcer une bombe dont l’explosion pouvait donner
lieu à des effets inattendus dès lors qu’«accusés» ou «dénoncés» pouvaient
utiliser tous les moyens à leur disposition pour se défendre. De son côté, concerné
ou non, le premier ministre a cru bien faire en s’inscrivant dans cette logique
afin de mieux marquer son territoire. Malheureusement, il n’a réussi qu’à
soulever des questions sur les non-dits de sa démarche.
Au bout du compte, c’est une courbe
rentrante dont ne sort pas grandi le conseiller spécial du chef de l’Etat,
Luzolo Bambi Lessa, qui devra seul porter le chapeau du ratage monumental d’une
opération qui n’a pas été appuyée par «des enquêtes des services attitrés»,
lit-on, comme une critique qui ne veut pas dire son nom, dans le communiqué de
la Primature. Mais aussi le peuple congolais qui pouvait espérer des
révélations inédites sur la gouvernance de la RDC.
Alors, en rire ou en pleurer?
En rire, parce qu’il s’agit d’un
imbroglio politique que le gouvernement congolais aurait pu éviter. Quitte à
déplorer encore une fois la tendance des acteurs politiques à se précipiter, à
ne pas mûrir les dossiers, à ne pas prendre le temps de les approfondir,
préférant sans aucun doute l’effet d’annonce, le règlement des comptes dans la
perspective des élections, ainsi que la politique du spectacle.
En pleurer parce que le coup de frein
imprimé brutalement à cette affaire qui commençait à mobiliser l’opinion tant
nationale qu’internationale par son caractère inédit et spectaculaire prive les
Congolais des révélations qu’ils étaient en droit d’espérer sur les mœurs
politiques et la gouvernance de leur pays...